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Le conteur africain parmi nous

L’écrivain Melchior Mbonimpa, auteur franco-ontarien de plusieurs essais et romans, a sorti en 2020, un nouvel ouvrage de fiction intitulé Au sommet du Nanzerwé, il s’est assis et il a pleuré aux éditions Prise de parole. L’auteur est bien connu en Ontario français et au-delà pour ses réflexions politiques, philosophiques ou religieuses sur l’Afrique, plus particulièrement sur l’Afrique des Grands Lacs, région incluant son pays de naissance, le Burundi.


Dans les romans de ce professeur en sciences religieuses, ses personnages principaux sont remplis d’humanisme et du respect des traditions. Mais précisons que ce fil rouge qui traverse l’œuvre de cet auteur n’empêche ce dernier de mettre face à face les rites et sagesses ancestrales devant des réalités modernes dans le but de faire naître quelque chose qui ressemble à une nouvelle symbiose, une symphonie polyformes.


Venons donc à ce roman. C’est l’histoire d’un jeune homme, Mupagassi, qui entraîne son grand frère Gassongeti vers l’exil parce qu’il sait qu’il se trame des tueries dans son pays dont on se doute qu’il s’agit du Burundi. Mupagassi a un terrible secret qu’il n’ose point révéler à son frère, officier de l’armée. Mais avant d’arriver à cette fuite, l’écrivain nous dépeint des circonstances importantes. Mupagassi est en réalité le demi-frère de Gassongeti qui le sait. Ils s’aiment profondément, ce qui n’est pas le cas du père de Mupagassi qui n’a jamais accepté le fils de sa femme comme l’un des siens. Mais ces tensions familiales n’empêchent en rien de sentir l’amour que les deux jeunes hommes ont pour leur mère. Melchior Mbonimpa, dans une narration subtile, montre les sacrifices de cette femme pour que ses fils aient une éducation. Ce personnage féminin, bien qu’en retrait, éclaire les pas de ses enfants tâtonnants pour trouver leur destin.


De plus, l’auteur rend hommage à sa terre de naissance dans cet ouvrage de qualité, à la faune et la flore dans lesquelles ses personnages ont grandi. Sa plume nous donne le goût de son pays. « (…) la savane était surtout caractérisée par de hautes graminées aux couleurs jaunes, fauves, ocres, beiges, au milieu d’arbres clairsemés, surtout des acacias épineux aux cimes plates dont seules les girafes se nourrissaient. »


Viennent les camps de réfugiés et la dure réalité de l’exil. Les deux frères apprennent davantage à se connaître et nous découvrons un Gassongeti épris d’actions et Mupagassi, bien plus intellectuel. Dans leur pays-refuge, les deux frères rencontrent de nouveaux comparses. Il y a des révoltés qui veulent en découdre avec la « caste dominante » au pays et d’autres plus introvertis qui tiennent d’abord à finir leurs études. Melchior Mbonimpa profite de ce microcosme pour lever quelques voiles sur des préjugés et croyances abominables. En effet, un de leurs compagnons en exil, Karagata, est albinos. L’écrivain révèle que des rituels de sorcellerie dans certains pays de la région des Grands Lacs font d’eux des victimes.


Le destin des deux frères finit par les séparer. Gassongeti va rejoindre un mouvement de libération et son petit frère s’envole pour Ottawa, Canada. Le narrateur nous mène à voir comment un Africain découvre l’Amérique du Nord. Mais il y a davantage. Norma, la Suédoise qui connaît Mupagassi depuis son camp de réfugié, une fois de retour en Californie, l’invite à passer la voir. L’amour, entre eux, va irriguer tout le reste de cette histoire. Cette affection nourrit le roman comme la sève parcourant un arbre.


Mupagassi fera de Norma une amie intime, au point de lui révéler son terrible secret sur Gassongeti. Celle-ci le recevra comme un pacte d’amour. Tout ce qu’on peut dire est que Mupagassi a sauvé la vie de Gassongeti et en est sorti, traumatisé. Le mot est lâché. Le trauma des familles tuées, disparues dans des guerres fratricides. Le conteur dépeint des personnages quelquefois à cran et surtout habités par des cauchemars de tueries indicibles. Mais aucun d’entre eux n’est aigri. Mupagassi, désormais acclimaté à son nouveau pays, dit « La beauté de l’humanité réside dans sa diversité », en regardant le folklore amérindien.

La vie va suivre son cours. Les deux frères se croisent à nouveau au mariage de Mupagassi avec Lakshimi, d’origine sri lankaise. Ils se jettent dans les bras l’un de l’autre aux retrouvailles. Norma qui a poursuivi sa route en Californie reste quand même dans la vie de Mupagassi. Elle fait figure de phare dans une tourmente émotionnelle qui secoue l’Africain hanté de temps à autre par son passé. La réussite professionnelle ne semble pas guérir toutes les plaies. Même s’il ne fait plus de cauchemars, il ne veut pas visiter son pays qui a retrouvé la paix. Il ne s’est battu pour lui. Certes, il a été négociateur pour la paix mais ce n’est pas la même chose à ses yeux. Et puis, ce pays, il lui en voulait aussi pour l’avoir forcé à déguerpir.


Norma et Lakshimi insistent pour qu’il réponde positivement à l’invitation de Gassongeti de rentrer revoir sa terre de naissance. Il finit par accepter et ce retour de l’enfant prodigue ressemble aussi à un pèlerinage dont le point final est cette escalade du mont Nanzerwé jusqu’au sommet. Dans un geste fortement inspiré des textes bibliques, il s’est assis et il a pleuré.

Melchior Mbonimpa est un narrateur chevronné, un conteur trempé dans la tradition orale des pays des Grands Lacs. Il narre en dessinant des fresques où on compatit au deuil de Mupagassi dont la famille fut décimée mais également on se réjouit de la faune et la flore magnifiées de son pays. Voyez-vous, il n’oublie rien, cet auteur. La peine, la joie, la modernité, la tradition. Ce sont des torches enflammées avec lesquelles il jongle aisément sous les yeux ébahis du lecteur surpris et conquis.


Didier Leclair, écrivain

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