Le conteur qui nous vient d’Afrique

Melchior Mbonimpa, l’écrivain franco-ontarien d’origine burundaise, vient de sortir un nouvel ouvrage de fiction. Il s’agit d’un recueil de nouvelles. C’est la première fois qu’il publie dans ce genre et j’ai eu le plaisir de me procurer une copie. Le recueil s’intitule « Les zigzags du destin » et est publié aux éditions Terre d’accueil, dans la collection Motema.
Ce professeur de sciences religieuses à l’université est un grand connaisseur de politique, de philosophie et a publié de nombreux ouvrages doctes et pertinents, notamment sur son pays de naissance, le Burundi.
Mais ce conteur né a toujours réussi dans ses livres de fiction à faire oublier l’universitaire et à prendre le lecteur par la main afin de lui narrer des histoires qui se déroulent quelquefois en Afrique, d’autres fois au Canada. Les thèmes de prédilection chez cet écrivain pétri de culture est le respect de la tradition, les défis de l’immigration et les tensions communautaires qui viennent quelquefois déchirer les peuples frères.
Dans ce huitième ouvrage de fiction, Melchior Mbonimpa s’est donné le défi de montrer à son lecteur, les tribulations des nouveaux Canadiens mais aussi la façon dont ils tentent de surmonter les obstacles que leurs traditions ancestrales leur imposent.
Dans les treize histoires qu’il a bien voulu nous raconter, l’écrivain nous décrit les petits et les grands mensonges des immigrants, les amitiés qui périssent à cause de traditions superflues loin de l’Afrique mais aussi la témérité de femmes qui comptent mener leur vie selon leur conception du bonheur.
La première histoire appelée « Le rêve en éclats » nous donne un récit à la première personne d’un immigrant qui a menti sur son âge et sur d’autres critères aux autorités canadiennes afin d’augmenter ses chances de rester. Il s’était déclaré plus jeune et ses qualifications étaient revues à la baisse. Ensuite, il vit avec la hantise d’être confronté à ses mensonges. « Je redoutais surtout qu’un individu malveillant me dénonce, car les mensonges parfaits – comme les meurtres parfaits- sont rares. » Cette hantise va empoisonner sa vie. Où qu’il aille dans ce vaste pays qu’est le Canada, il ne trouvera jamais la paix de l’esprit.
L’auteur a une plume fluide qui va droit au but. Il met de l’humour dans d’autres histoires comme « Du miel dans mes oreilles » en référence à une voix féminine angélique qu’un homme entend au bout du fil.
L’écrivain connaît bien les péripéties des peuples africains. Il met en scène une victime d’un pasteur prédateur sexuel. Ce sont des scénarios fréquents dans les communautés noires, aussi bien celles d’Afrique que de la diaspora. La foi est le ciment de nombreux immigrants d’Afrique et plusieurs faux prophètes tentent d’en profiter.
Il y a des histoires de fille-mère, de comité d’embauche, de pilote qui n’en est pas un. C’est un zigzag tout à fait crédible que nous offre Melchior Mbonimpa. On ne s’ennuie pas avec le récit sur un camp de réfugiés majoritairement peuplé de femmes où il advient un baby-boom d’enfants illégitimes.
Plus on avance dans les récits du conteur, plus on se rend compte qu’il tisse un canevas social qui met à nue la nature humaine. Des personnes sont dévorées d’ambition au point d’écrire un discours sur elles-mêmes, d’autres vivent aux crochets d’un oncle qui découvre qu’on lui ment. Encore ce mensonge qui revient comme un refrain. L’auteur l’utilise aussi bien dans la bouche d’un être malheureux et désespéré, que dans celle d’un personnage qui ne veut pas blesser autrui.
Mais il y a aussi des femmes fortes, des couples d’amoureux originaires de clans qui se détestent et tous finissent par trouver leur bonheur sous la plume alerte de Melchior Mbonimpa.
Un bon écrivain ne cesse d’évoluer et celui-ci a affûté sa plume pour mettre à profit son sens inouï de l’observation. Il a gardé comme dans toutes ses œuvres, un humanisme profond. Il ne juge jamais ses personnages. Il nous les montre sans les déshumaniser, ni les surestimer. C’est la marque d’un conteur au sommet de son art.
Didier Leclair, écrivain