Bientôt un recueil de nouvelles de Melchior Mbonimpa!

L’écrivain burundais et canadien Melchior Mbonimpa a bien voulu s’entretenir avec CAFAC (Conseil des auteur.e.s francophones afro-canadien.ne.s) à propos de son nouveau recueil de nouvelles Les zigzags du destin qui sortira aux éditions Terre d’Accueil au début de l’année 2024. Nous avons profité de cette rencontre pour en apprendre un peu plus sur cet écrivain franco-ontarien qui a une quinzaine d’œuvres à son actif dont 7 romans.
L’auteur qui vit à Sudbury a été professeur au département d’études religieuses à l’Université Laurentienne. Aujourd’hui, il continue à écrire et à donner des conférences dans des universités africaines quand il n’est pas chez lui en train de cultiver son jardin.
Bonjour monsieur Mbonimpa,
Bonjour et merci de l’invitation à ce partage.
CAFAC : D’abord parlons de ce nouveau livre qui sort bientôt. C’est un recueil de nouvelles qui s’intitule Les zigzags du destin. Pourquoi ce titre et pourquoi un recueil de nouvelles, vous qui nous avez habitué à des romans?
Melchior Mbonimpa (M.B.) : Ce titre provient d’un constat que n’importe quel adulte peut faire : la vie nous mène souvent où nous ne voulons pas aller. Une grossesse non désirée, un patron malveillant, un pays d’accueil qui se mue en enfer pour un immigrant qui rêvait d’atterrir au paradis, un enfant qui tourne mal… Ces situations imprévues qui changent complètement et souvent dramatiquement le cours de nos vies, cela fait partie de notre expérience. Et pourquoi un recueil de nouvelles? Parce que dans ma jeunesse, j’ai été marqué par un recueil de nouvelles d’un auteur africain : Tribaliques, de Henri Lopes. J’ai rêvé de l’imiter depuis longtemps. Puis, après la publication de mon premier roman, une amie américaine m’a fortement encouragé à publier des « short stories », probablement pour qu’elle puisse me lire plus facilement. À maintes reprises, j’ai essayé, sans succès. Mes nouvelles devenaient des romans parce que je ne parvenais pas à m’arrêter. C’est donc un défi de longue date que je viens de relever avec ce recueil.
CAFAC : Pouvez-vous nous donner une idée générale du nouveau livre et surtout ce que l’écriture de ce recueil vous a apporté?
M.B. : Le contenu des diverses nouvelles est assez varié. Mais si on veut un fil conducteur, on pourrait dire que ce sont, pour la plupart, des aventures d’immigrants, un peu comme dans la majorité de mes romans. Mais le genre « nouvelle » permet de traiter le même thème de plusieurs manières, par exemple en changeant de décor. Ainsi, le lieu de chute de mes personnages immigrants n’est pas toujours le Canada ou l’Amérique du Nord comme dans mes romans. Le recueil de nouvelles m’a donc permis de produire des histoires plus cosmopolites alors que la plupart de mes romans sont « transatlantiques » et « bilatéraux », centrés sur un face à face entre l’Afrique et l’Amérique du nord.
CAFAC : En 2021, vous avez eu une belle surprise. Votre premier roman, Le totem des Baranda (2001) publié chez Prise de parole a été sélectionné pour l’émission de la radio de Radio-Canada Le combat des livres. Qu’avez-vous ressenti quand vous avez appris la nouvelle?
M.B. : C’était une période très sombre dans ma vie. Le monde était plongé dans la pandémie et mon université venait de s’effondrer alors que je m’apprêtais à prendre ma retraite. J’avais rêvé de cette retraite comme d’un triomphe. Tiens, ça me fait penser justement aux zigzags du destin! Au lieu d’une apothéose, c’est la misère qui s’est invitée : pendant mes premiers six mois de retraite, je n’ai pas touché un sou de ma pension parce que l’université se débattait dans le chaos de ses comptes. Je croyais que ce genre de situations n’arrive que dans les pays du tiers-monde ! La sélection de mon premier roman pour « Le combat des livres » a donc été pour moi comme un superbe lever de soleil! Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un canular car c’était improbable. Généralement, les livres en lice étaient choisis parmi les parutions récentes. Or, mon roman était vieux de vingt ans! Puis j’ai compris que dans ce cas, Marie-Louise Arseneault qui animait l’émission avait d’abord choisi une « combattante », Tanya Lapointe, pour participer à la compétition comme représentante de l’Ontario. C’est elle qui a exigé que le livre en compétition pour l’Ontario soit Le totem des Baranda. J’ai donc eu le privilège de faire la connaissance d’une grande dame bien connue dans le milieu du cinéma comme productrice et réalisatrice, épouse et collaboratrice de Denis Villeneuve. Elle était tombée sur ce roman l’année de sa sortie, au salon du livre de Toronto, alors qu’elle était jeune journaliste culturelle à Radio-Canada. Ceux qui l’ont vue défendre son choix avec passion au « Combat des livres » ont été vraiment impressionnés et moi plus que tout le monde! Bref, dans les circonstances, j’ai reçu tout ça comme un cadeau de Dieu.
CAFAC : Vous faites partie des écrivains noirs bien connus en Ontario français et vous avez signé un texte disponible sur le site Facebook de CAFAC Canada sur votre sentiment de Franco-ontarien d’origine africaine qui s’intitule Malaise et gratitude. Pouvez-vous nous dire ce qui a motivé ce texte?
M.B. : J’ai écrit ce texte en réponse à une provocation de Didier Leclair qui a soumis aux membres du CAFAC (Conseil des
Auteur-e-s Francophones Afro-Canadiens) un article sur La mémoire sélective d’une communauté accueillante. Sa réflexion portait sur la difficulté, pour un auteur franco-ontarien noir, d’être reconnu au même titre que ses collègues blancs. Il m’a semblé que ce serait intéressant que chaque membre de notre groupe réagisse à ce texte en rédigeant à son tour un article sur la même question de fond : « Comme écrivain noir, dans quelle mesure je me sens reconnu par la communauté franco-ontarienne? » Le but était de réunir ces textes dans une œuvre commune et de la rendre publique. Je pensais que ce serait pour notre groupe, une belle façon de se manifester, de dire qui nous sommes et ce que nous pensons. Nous y sommes parvenus partiellement (le verre est à moitié plein). En plus du texte de Didier et du mien, il y a aussi, sur le site Facebook de CAFAC le texte d’un troisième collègue presque franco-ontarien : Guy Bélizaire, Cet adversaire souvent invisible.
CAFAC : Vous avez publié tous vos romans aux éditions Prise de parole à Sudbury. Vous avez confié Les zigzags du destin aux éditions Terre d’Accueil, pourquoi?
M.B. : C’était une manière d’encourager la diversité et de participer à l’émergence d’une nouvelle maison d’édition qui répond à un besoin réel. J’ai d’ailleurs constaté que Prise de parole a accueilli positivement la naissance de Terre d’Accueil, notamment en invitant sa fondatrice, Suzanne Kemenang, à collaborer à un projet important : un recueil poétique féminin qui commémore les 50 ans de la fondation de l’aînée des maisons d’édition franco-ontariennes.
CAFAC : Le monde est en ébullition dans certaines parties du monde, comme en Ukraine, en Israël et ailleurs en Afrique. Qu’est-ce qu’un écrivain peut apporter comme contribution à la paix dans monde?
M.B. : Je crois d’abord qu’un écrivain devrait rester modeste. Sa contribution dans la lutte pour la paix ne peut-être qu’une goutte d’eau dans l’océan. Cela dit, l’océan est constitué de gouttes d’eau. En tant que citoyen de la « République des lettres », l’écrivain doit être conscient d’habiter cet espace de liberté d’expression, de démocratie et de tolérance. Depuis la Grèce antique, « publier » un texte, « c’est déposer son message au milieu de la communauté ». Il devient alors objet d’un débat de nature démocratique où chacun lutte à armes égales, par la discussion et l’argumentation, comme dans une assemblée qui assure un droit de parole égal pour chacun. Publier, c’est accepter la critique et renoncer aux arguments « musculaires ». La guerre est la négation de ce jeu intellectuel. Elle constitue une régression, une chute dans la barbarie : le refus violent de la différence, de la nuance, de l’auto-relativisation… L’écrivain contribue à la paix en résistant au triomphe de la pensée unique. Et comme l’immunité littéraire n’existe que dans quelques rares pays du monde, l’écrivain est souvent persécuté, enfermé et même exécuté. Dans mon dernier essai, Plaidoyer pour l’Ubuntu. Espérance et résistance (Éditions Iwacu, 2021), j’ai consacré tout un chapitre (pp.159-176) à l’analyse de la manière dont la littérature africaine a courageusement résisté aux dérives sanglantes des dictatures postcoloniales.
CAFAC : En tant qu’auteur de l’Ontario français, quel est selon vous, la meilleure façon de faire connaître les œuvres d’ici à l’échelle nationale et internationale?
M.B. : Je pense que ce sont d’abord les maisons d’édition qui devraient nous aider à faire connaître nos œuvres, par des ententes de coédition avec des maisons œuvrant sur d’autres continents, par des initiatives de traduction et des politiques de commercialisation plus audacieuses. Mais on peut constater que dans certains cas, des auteurs et autrices très habiles s’occupent activement de la promotion de leurs œuvres de diverses manières (sites internet, Facebook etc…). Sur ce point, les écrivains immigrants ont d’ailleurs un avantage. Ils peuvent toujours essayer de se vendre aussi bien dans leur terre d’accueil que dans leur pays d’origine.
CAFAC : En tant qu’écrivain, vous êtes probablement un avide lecteur. Quel est l’œuvre que vous conseilleriez à un jeune ou moins jeune d’origine africaine qui a l’ambition d’écrire des livres et devenir écrivain comme vous?
M.B. : Je lui conseillerais de me lire en priorité, au risque d’être pris à mon propre piège : si ça fonctionne, je ne pourrais pas refuser de relire ses manuscrits et je déteste cette corvée. Plus sérieusement, Tribaliques de Henri Lopes dont j’ai parlé tout à l’heure, serait un bon début. Puis, Allah n’est pas obligé, d’Ahmadou Kourouma. Mais c’est évidemment un peu arbitraire car il y a plein d’autres excellents œuvres d’écrivains africains.
CAFAC : Quelles sont vos habitudes d’écriture, préférez-vous écrire le matin ou le soir par exemple?
M.B. : J’accouche généralement le soir, à la maison, avec un bon verre de vin comme stimulant. Mais quand il s’agit de relire mes premiers jets, je travaille plutôt à mon bureau, à l’université, et bien sûr à jeun.
CAFAC : Où pourra-t-on trouver le nouveau livre, Les zigzags du destin? Et où se procurer vos autres œuvres?
M.B. : Pour avoir des renseignements sur Les Zigzags du destin, il faudrait aller au site web des Éditions Terre d’Accueil et cliquer sur « NOUS JOINDRE ». Pour mes romans, on peut trouver les coordonnées au site des Éditions Prise de parole.
CAFAC : Merci pour cet entretien.
M.B. : C’est moi qui vous remercie.